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Chapitre 1

                                                                  

     Préface

 

 

Bien loin de moi l’idée de jouer à la « Marelle » : Julio Cortazar l’a fait bien plus brillamment.

Cependant, ayant conté dans un premier temps l’histoire de Mlle D…« finissant ses jours dans une chambre de femme », chaque chapitre de cette histoire a conduit à des réflexions personnelles.

Celles-ci, insérées dans le texte, peuvent faciliter le cheminement du lecteur dans la compréhension de la conception de l’opus.

La triste histoire de « Mlle D… » peut-être parcourue plus rapidement « à cloche-pied » en ne lisant que les chapitres pairs qui lui sont consacrés.

La lecture exclusive des chapitres impairs laissera le lecteur curieux faire plus ample connaissance avec le marionnettiste qui par sa plume a fait revivre « Mlle D… »

La lecture de l’ensemble avec une séquence consécutive des chapitres donnera toute l’ampleur au livre confrontant l’auteur avec son ouvrage.

 

                      Bonne lecture

 

                                                    Y.G

 

   

     Chapitre 1 – L’écrivain.

 

Ce matin, comme tous les matins, Jean gagna la grange aménagée dans laquelle il avait fait son bureau. Il s’y rendait avec assiduité afin de s’isoler pour écrire.

Il s’était en effet consacré à cette activité depuis plusieurs années. Elle était grande consommatrice de temps même si l’inspiration restait parfois très capricieuse.

Il s’astreignait donc à cette discipline quotidienne dédiée à la réflexion et à la rédaction.

Il bruinait. Cette journée d’hiver ne laissait augurer rien de bien gai : les velux dégoulinaient d’une lumière blafarde.

Jean n’alluma pas les spots insérés dans le lambris du plafond. Il voulait se laisser imprégner par cette mélancolie sans que la lumière jaune vienne inonder ses pages blanches.

La rame de feuilles était devant lui, interrogative et patiente. Lui même manipulait son stylo en jouant avec le capuchon qu’il enlevait et remettait.

Au-delà des mots, l’idée restait volage.

Rien ne lui paraissait plus difficile que de lancer le début d’un ouvrage. Certains écrivains ne disent-ils pas qu’il faut clore l’écriture par l’incipit ?

Coucher sur le papier les premières phrases d’un plan échafaudé dans sa tête restait un exercice qu’il trouvait périlleux.

Certes, la liberté d’écrire ce qu’il voulait restait son luxe d’auteur mais le blanc de la page comme un reproche, l’intimidait.

Son dernier ouvrage, bien que tiré à peu d’exemplaires avait été bien reçu par ses amis.

Il lui semblait que cela lui était un obstacle de plus à franchir : comme dans les concours hippiques dans lesquels la barre est de plus en plus haute.

Tant vis à vis de lui même que de ses lecteurs, il se devait de faire mieux…

Jean avait son idée sur la création littéraire. Il ne jouait pas dans le camp des biographes : trop de documentation à récupérer, à colliger, à digérer pour en faire un énième livre sur tel ou tel personnage célèbre.

C’était pourtant ce qui se vendait le mieux aux éditeurs qui ne couraient pas un trop grand risque en bordant la parution de campagnes de publicités bien orchestrées.

Il se voulait un peu magicien ou plutôt alchimiste : la transmutation du concept, de l’idée virtuelle en lignes régulières sur les pelures le fascinait.

Le stylo et la feuille de papier devaient, pour lui, ne refléter que ce qu’il extrayait de lui même, soit pour y déposer des idées personnelles, soit pour ne faire référence qu’à des expériences vécues.

Il faut dire que son métier de chirurgien le prédisposait à être confronté à maintes histoires de la vie humaine dont le caractère dramatique l’avait frappé.

 Il en restait toujours un souvenir au fond de sa mémoire. Le temps, comme sur les vins en cave faisait son travail patient de maturation.

Une introspection silencieuse ou bercée par quelques morceaux de musique classique lui permettait d’extraire en une laborieuse maïeutique des lambeaux du passé.

Le tissage de ces derniers constituait la trame de récits qu’incrémentaient par nécessité, en tant que traits d’unions ou relations causales, les fragments d’histoire que le romancier,

 « deus ex machina », se donnait le droit d’inventer pour rendre une cohérence aux actions dont il avait été le témoin.

Depuis quelques semaines, Jean, dans la perspective d‘un nouvel ouvrage, avait réfléchi à bien des sujets possibles.

Il avait extirpé du fatras des situations vécues deux thèmes qu’il avait à cœur de traiter.

Deux drames de la vie dont il avait été témoin et partiellement acteur. Il n’en avait observé que les terribles conséquences.

Le problème se posait pour lui, en tant que narrateur, de tenter de retisser des liens et des circonstances ayant conduit aux faits objectifs constatés.

Jean, plongé dans ses pensées, griffonnait sur un coin de la page avec automatisme. Evadé mentalement loin de sa table de travail, il se revoyait près de trente ans plus jeune.

Au Québec !

L’hiver, là-bas, d’une rigueur catégorique et sans clémence, s’éternisait dans l’infinie blancheur des paysages et la boue grasse et gelée des bords de routes salés pour faire fondre le verglas.

 La chaussée bleutée brillait et la Dodge Aspen devait être domptée d’une main douce pour ne pas s’embarquer en tête-à-queue incontrôlable.

L’hôpital universitaire était hors de la ville.

Tant pour le travail que pour les urgences de nuit, il fallait bien s’accommoder de cet asphalte de patinoire et d’un  thermomètre dont le mercure était bien au dessous de zéro.

Il revoit les couloirs, les chambres, les blocs et la réanimation.

Il se revoyait rentrer dans la chambre….